« Il n’y a de frontière que pour cette plénitude enfin de l’outrepasser, et à travers elle de partager à plein souffle les différences. », Edouard Glissant
La frontière, réelle, symbolique ou imaginaire, n’a jamais été aussi présente dans notre approche et compréhension du monde et de son mouvement. Sommes-nous les contemporains de ce monde, simples observateurs des menaces et promesses d’une époque pesante, ou sommes-nous « de ce monde », acteurs à part entière des désastres et possibles ? Laissons irrésolue et ouverte la question. Mais, considérons un instant que seuls les imaginaires, dans l’étendue de leurs diversités, traversent sans visas les murs et les frontières qui, eux, nous séparent de manière bien réelle.
Dans cette perspective, l’association des œuvres de Safâa Erruas, Abdoulaye Konaté, Nicola Lo Calzo, et Emeka Okereke, s’inscrit dans le libre mouvement des imaginaires qui se stimulent, se ressourcent mutuellement, se partagent. La finesse des installations monochromes de Safâa Erruas répond à l’explosion polychromatique des tentures d’Abdoulaye Konaté. Les images noir et blanc d’un monde à la fois unifié et divisé par la marchandise d’Emeka Okereke font contrepoint aux photographies en couleurs d’un monde des vivants qui se souvient du crime de l’esclavage de Nicola Lo Calzo.
Nous pourrions décliner à l’envi ces liens visibles et invisibles entre ces quatre imaginaires, jamais sans en épuiser leurs singularités irréductibles, mais tout au contraire, en approfondissant les questions soulevées par les œuvres des uns et des autres. La frontière est un paradoxe, une œuvre d’art est un paradoxe. Si la douleur est tendre chez Safâa Erruas, le collectif est singulier chez Emeka Okereke, si la mémoire est vivante chez Nicola Lo Calzo, la conscience du monde est secrète chez Abdoulaye Konaté.
Les appartenances à un territoire, à une langue, à une communauté, ne sont jamais que des points de départ, une expression artistique est un trajet dont l’enjeu est plus que jamais « d’outrepasser » toute frontière. No Borders or Cross Borders ? A nouveau, laissons la question ouverte à l’instar de toute œuvre humaine qui est échappée et non monde clos.
Christopher Yggdre